lundi 29 février 2016

Arabisation, francisation et kréolisation




 *Riyad Dookhy (Dr), philosophe et juriste


L’année 2016 voit la réintroduction du français dans l’enseignement au Maroc, à l’encontre de l’arabisation, par décision du Roi. L’Algérie, de même, plus timidement, amorce un certain retour à la francisation. La Tunisie, quant à elle, a su préserver, de façon plus avisée, le français comme langue d’enseignement et opère un rapprochement scientifique soutenu avec le monde francophone à l’encontre de l’arabisation.

Ce retour à la francisation à l’encontre de l’arabisation n'est pas anodin, mais indique un mouvement réfléchi et bien pensé. L’arabe, langue d’un vaste territoire géographique, est la langue, à des moments divers de l’histoire, d'une civilisation chrétienne, juive et musulmane. Maïmonide n’écrivait-il pas en arabe, de même qu’Averroès ne véhiculait-il pas l’Aristote des scolastiques, alors que des penseurs et philosophes persans ne s’exprimaient-ils pas encore au XVIIIe siècle en arabe ? L’arabe est aussi une des langues de l’ONU et la langue de travail de diverses organisations internationales, étant par ailleurs la langue officielle de vingt-six États. Bien entendu, l’arabe est aussi présent et incontournable comme langue liturgique des chrétiens d’Orient et des musulmans du monde. Les universités et productions académiques et scientifiques arabes sont nombreuses, et bénéficient de toute une tradition séculaire et littéraire et d’un budget conséquent.

Pour autant, des déficits de la pensée, de la production, du savoir véhiculé, de son réel enjeu comme porteur d'une épistémologie de notre siècle, peuvent s’y afficher. C'est une question grave que de pouvoir équiper une génération toute entière à faire face au monde de demain et de lui donner les outils de la pensée et de son orientation. Pour le Maghreb, voir le Grand Maghreb, le français s’impose en ce sens – ne serait-ce que par cette décision du Roi -, comme langue de l’académie et du savoir au détriment de l’arabe. Peut-être les scientifiques et les intellectuels seront plus aptes ici à être sensibles à ce qui est sollicité, comme l’enjeu réel qu'il nous importe de prendre en compte, au-delà d'un discours idéologique. Le roi du Maroc est aussi le garant de la tradition musulmane et de l’arabité (ne porte-t-il pas le titre de « Amîr-al-mouminîn » ?). En vérité, il n'y va pas que d'une décision d’un souverain, mais le cri d’un nombre important d’intellectuels, dont on ne pourra citer ici que quelques-uns, tels les philosophes Ali Mezghani, (Lieux et Non-lieu de l’identité, 1998) ou Fathi Triki, (La stratégie de l'identité, 1998). Rappelons aussi le philosophe franco-marocain, Ali Benmakhlouf, professeur d’université, et ses travaux sur l’identité comme une « fable philosophique », alors qu’il est un de ceux qui défendent la tradition averroïste de notre temps.

Ces faits nous sont importants, pour nous mauriciens, à l’encontre d'une micro-culture du créole (le « kréole-k ») qui emprunte l’ambition et l’illusion de « pan-culture » transmissible à la hauteur d’un patrimoine académique, connotant l’idée d’un véhicule du savoir de notre temps. Le « kréole-k » qui n’est pas partagé par le « créole-c » même à Maurice, et comme nous avions eu l’occasion de l’indiquer à plusieurs reprises, n'est que rupture et obscurantisme à certains égards, même si on peut tenter de comprendre et de soutenir le mouvement et quelques nobles projets qui l’animent. Il n’aurait eu que la faveur d’un régime politique car aidant à immuniser le peuple d’une véritable maîtrise du savoir. N’est-il toujours pas mieux de gouverner un peuple non bien instruit, soumis aux harangues d’un espace public hautement émotionnel, que de vraiment l’encadrer d’une vraie pédagogie ? Il est ainsi possible de gouverner tout en se déresponsabilisant en n’offrant à jamais à ce peuple son destin, celui de son développement et de son bien-être.
Si tel est suffisamment corrosif pour le développement mauricien, il y a un autre facteur qu’il importe de souligner. C'est celui du flou et du glissement que le « kréole-k » opère et entretient au détriment du français à Maurice (dont nous avons fait état ailleurs).

Précisions uniquement ici que le créole « k », s’il est en cela une micro-culture, ne bénéficie pas d’une aire linguistique large, comme celle de l’arabe. Il n'y existe aucune tradition de la pensée ni celle d’un savoir académique. Il n’existe qu’en marge même de toute tradition épistémologique. Il n’officie et ne présentifie qu’un événement idéologique avant toute chose à l’encontre et à la faveur d’un « rapt » intellectuel alors qu’il appartient à nos générations du futur de maîtriser les moyens du savoir de demain et d’engager la compétition du monde sans se déclarer forfait avant l’heure.

Un État nécessite, à un certain moment de son existence, la production des médecins compétents ouverts sur la médecine de pointe, des architectes pouvant construire, des juristes pouvant réfléchir l’assise et la structure du social et y faire asseoir une pensée du droit, et de tout un pan de scientifiques des disciplines humaines pour encadrer le mouvement de la réalité d’une réflexion civilisatrice, philosophique, scientifique, technique ou technologique. Le « kréole-k » malheureusement ne pourra jamais, toute hypothèse considérée, à en faire le véhicule. L’arabisation, qui n’est rien comparable au « kréole-k », s’est permise une lucidité pédagogique que nombres de mauriciens, hélas, ne pourront en faire état. C’est une tragédie aujourd'hui de notre histoire.


L’éducation mauricienne s'est ouverte à la désintégration du mouvement pédagogique du savoir, alors que la société mauricienne n’échappe pas à sa structure grammaticale et herméneutique comme généalogique. Les difficultés de la kréolisation commencent à devenir perceptibles, mais la bravoure et la lucidité de beaucoup à ce sujet sont eux-mêmes questions à méditer. 







lundi 15 février 2016

Le séga de « Bhai Aboo », hommage spirituel du corps exalté








Le séga de « Bhai Aboo », hommage spirituel du corps exalté.

* Riyad Dookhy (Dr), philosophe et juriste

Le séga de « Bhai Aboo » de Claudio Veeraragoo exprime une amitié profonde intercommunautaire mauricienne. Il aura été le refrain d’une certaine génération. Certes il présente quelques ratés lyriques : le « fanal » (lanterne) et le « canal » (caniveau) riment mais importunent.
Aboo, un bon vivant, respectueux en quelque sorte (car il porte le sobriquet de « bhai »  - litt. « Grand frère » - respectable du quartier), porte un nom qui parle de sa tradition et de sa culture. Il découvre comme par surprise une musique qui le transporte, qui fait qu’il oublie de rentrer pris par la folichonnerie qu’il connait devant cette musique.
Son compagnon, le chanteur, se plaint d’être abandonné ainsi par son ami Aboo. Toutefois, le chanteur laisse entendre une complicité de l’ami, qui comprend cette fougue – car n’est-il pas lui-même chanteur. Il cache même une admiration sans pouvoir le dire à Bhai Aboo. Par opposition, le chanteur s’annonce par ses plaintes car il se fait très tard et il doit rentrer. Cette opposition ne cache en réalité qu’un refoulement qui appelle au dénouement. Le chanteur est celui qui cherche aussi, par une sympathie et une disponibilité de l’émotion prête à s’abandonner, à s’amuser lui-même et à s’émerveiller devant cette exaltation de son ami Aboo. Mais il doit se retenir, pour raconter l’événement. Il se plaint donc de cette amitié (« Bhai aboo, qui qualité dhost ou été do bhai » - « quel type d’ami êtes-vous donc ? »), pour dire que tel n’était pas l’accord tacite entre eux, c’est-à-dire tel n’était pas ce que « je » comprenais de l’instance de cette musique spirituelle, ou de « ma » musique. Toutefois, il veut aussi dire que c’est de son ami qu’il comprend la portée de cette musique et de « sa » musique. Il est question d’une rupture d’amitié qui se veut raison de l’amitié même sous complicité du transport musical. Ainsi, le chanteur appelle à tous ceux qui l’écoutent à s’ouvrir de la même façon à « sa » musique. Nonobstant plusieurs rappels de son ami, (« qui qualité problème nous pé gagné »), Bhai Aboo ne comprend pas qu’il est tard, car oublieux de tout, il vit cette musique intégralement. Il appelle son compagnon par une interjection amicale qui appelle l’admiration (« waa-waa ») – n’est-il pas étrange que toi ô ami tu ne comprends pas cet appel de la musique !
Au village donc, ce soir-là il y avait une fête où la musique surprenait tout le monde, mais Bhai Aboo en particulier (« tellement qui ti éna belle sawal bhai aboo pas lé retourne la caze »). La fête commence. Alors que les gens ne font qu’applaudir suivant l’entrain de la musique, Bhai Aboo, exalté, ne peut plus se contenir. Il « bouge les reins » car on y sent la musique gagner son corps. Il nous faut alors comprendre ici la puissance de cette musique. Le « Kawal » (le qawwali ou quawwali) est, avant tout, une musique spirituelle de la Grande péninsule. Alors que la musique le subjugue, Bhai Aboo s’explose en une périphrase braillarde : « alla mo vini ! » (Voici je j’arrive !). Nous ne pouvons qu’entendre une expression de la convocation de l’être primitif qui se proclame comme venue soudaine, qui annonce son apparition, dans un lieu de festivité ne pouvant ainsi qu’inaugurer un sacré festif. Le spectacle se doit alors, par le rituel du prononcé, n’être que sensationnel.  « Tout dimoune guette bhai aboo comment miracle ». « Miracle », en est-il, en effet, que l’homme puisse ainsi reconnaître son être primitif, son cri d’un temps d’ailleurs. L’expérience de chacun s’y raconte en découvrant cet autre moi qui échappe au centrisme ce « Moi » même, notre être comme pôle égotique, verbo-centrique.
Les instruments de musique de la soirée sont principalement l’harmonium et le tabla mais « sans violon ». Ce qui causa l’étonnement de Bhai Aboo, car après tout, ne s’est-il pas révélé fin amateur de « kawal ». On ne sait pas, on ne saura deviner si le violon doit faire partie du « kawal », mais tel doit être le cas pour Bhai Aboo. Il ne peut comprendre cette entorse à la tradition kawalique. Peut-être même faut-il y voir ici une double ironie. Mais l’ami Aboo aura beau chercher le violon que son ami aura du mal à l’expliquer qu’il n’y en a pas. La scène vise la contradiction. Bye Aboo, qui ne s’affichait pas comme fêtard invétéré, se révèle un habitué des « kawals ». Peut-être qu’Aboo ne s’y donne pas en apparence, mais, en vérité, il vit cette musique en lui, il la connaît dans sa perfection. Il reste « sans comprendre » devant l’absence du violon, car on ne doit pas interpréter mal cette musique spirituelle qui doit se dire dans sa vaccination à la corruption, et à toute corruption. Il faut y voir une critique du destin mauricien ici.  
On y mange et on y boit, pendant la fête. Tout est à la hauteur de la soirée : « alouda » et « rasgoulla », laits chauds aux amandes. Le geste de l’ami Aboo, suggestif de son caractère, est pittoresque : « Bhai aboo tire son mouchoir, essuye so la barbe, mange son bétel ». Nous avons alors le portrait d’un caractère précis qui parle de lui-même.
Mais, les heures de la montre du chanteur avancent lourdement. Il est alors déjà deux heures du matin, et encore maintenant, trois heures du matin. On sent la montée, au travers de l’heure qui s’écoule ainsi dans la nuit, le crescendo de l’ambiance. La fête se terminera à quatre heures du matin.
Tout le monde s’apprête alors à rentrer. Bhai Aboo, en chemin du retour, gambadant, bambocheur, tombe dans le caniveau (« le canal ») pour avoir trop dansé et pour s’être trop amusé. En tombant, il écrase sa lampe (le fanal). Par effet de miroir, les gens regardent encore avec étonnement Bhai Aboo. Comme il s’était comporté au commencement de la fête, il se répète les mêmes gestes. Bhai Aboo sort alors son mouchoir, essuie sa blessure, et cette fois-ci, au lieu de « manger » son « bétel », il « mange » sa douleur, comme si le caractère pouvait cacher sa souffrance du quotidien qui ne vaut rien au plaisir de la fête. Celle-ci ne saura prendre fin pour lui et pour les autres qui arrivent ainsi à comprendre cette instance, dans cette même complicité tissée au début par le chanteur. C’est encore un étonnement pour le chanteur qui découvre et apprend ce que peut signifier la raison d’une fête de « kawal », ou ce que peut être une musique dont il  est le chanteur, dont, lui-même, aura été le chantre. Mais rappelons, qu’à cause de son ami, il est maintenant quatre heures du matin et qu’il est très tard pour lui de rentrer à la maison – (« qui qualité problème »).
Dans le refrain de « bhai aboooo », on sent le déplacement du chanteur qui se métamorphose lui-même en chanteur de « kawal ». C’est une supplique. Le chanteur nous implore l’écoute du « kawal » qui animait la soirée, incarné dans le corps de son ami. C’est en convoquant le nom et la personnalité de « Bhai Aboo », que le « ségatier » cherche une psalmodie à la manière kawalique. Nous avons ici une mise en abîme, une déclosion du narratif pour une permutation expérimentale de l’écoute. La chanson, elle-même, est entrecoupée par un « air » de « kawal », par le prolongement psalmodique du débit.
La musique, si elle est celle d’une tradition ségatique, emprunte un trait asiatique, kawalique. Le tempo, répétitif, ne fait que soutenir le crescendo de l’euphorie musicale de la soirée. La musique se joue sur plusieurs plans. S’il y a d’abord celui du narratif, il y a aussi, comme un deuxième tempo en parallèle, celui des refrains. Mais comme tout séga, un troisième plan s’y rajoute, un arrière-fond de cris primitifs, comme explosions des instincts retrouvés, comme si seul le séga permettrait de le mettre à jour, ces plaisirs naturels qui auraient été occultés par les bienséances sociétales. Le refrain du troisième plan – arrière-fond faisant aussi écho aux bamboches de Bhai Aboo – fait résonner le rire saccadé, hilarant mais niais, de ce dernier.
L’histoire est toute fraîche, car c’était « hier au soir » (« hier au soir bhai aboo ti invité-moi »). La nouvelle ne doit pas se faire attendre car sensationnelle. Il y va d’une découverte de ce que la musique pourra nous dire. Le lieu se passe à « Camp Caval », un lieu sans précision géographique, mais rime avec les toponymes mauriciens aux accents communautaires.
À Maurice, on sait faire la fête entre traditions multiples. On sait se poser et se dire en caricature, mais aussi on sait se découvrir l’un l’autre dans ces satires. Le peuple, en réalité, contrairement aux discours politiques malsains, sait se retrouver dans le bas-fond même d’une société qu’il exprime par ses souhaits. Il importe de lui faire droit.  


*(Riyad Dookhy, Avocat de Gray’s Inn - Londres, docteur en droit, enseigne aussi le droit à l’Université Paris V Descartes – Sorbonne Paris Cité).






Le séga de Bhai Aboo : 
https://www.youtube.com/watch?v=f_8XGfnNnRo

samedi 13 février 2016

Gloses sur Hafèz 01






Hier j’ai bu à sa coupe, dans le silence de la Nuit
Où elle me montra les ombres de la vie
Des amours perdus, c’est elle qui se voulait peindre
Je me rappelle les paroles d’Al Faridh :


« Nous avons bu à la mémoire du Bien-Aimé (Mohammad) un vin qui nous a enivrés avant la création de la vigne [...] ;
Sans son parfum je n’aurais pas trouvé le chemin de ses tavernes.
Le Temps en a si peu conservé qu’il est comme un secret caché au fond des poitrines [...] ;
Si tu n’enivres de ce vin, fût-ce la durée d’une seule heure, le temps sera ton esclave docile [...] ;
Il n'a pas vécu ici-bas celui qui a vécu sans ivresse et celui-là n’a pas de raison qui n’est pas mort de son ivresse »


Comme si je devais y rajouter la remontrance de Hafèz  :
« Dormir, oh Hafèz, tel n’est pas bienséant à la cour de l’Agrément
De la prière de la Nuit, alors que l’aube se pointe »

Oh Hafèz, hier encore, tu vivais la coupe aux lèvres
Sur le chemin de la Bien-Aimée
Nul égarement
Oh Hafèz, ce vin a mûri avec les âges depuis que tu es parti
Nous buvons allègrement alors que la sécheresse qu’annonçait Joseph dans son rêve sévit dans le Monde.

Riyad Dookhy










Notes
*Ibn Al Fâridh, de son « Al-khamriy », « L’Éloge du Vin », traduction Emile Dermenghem, Éditions Véga, Paris, 2002.

*Hafèz Shirazi, de son « Diwan », D242, Edition Hassan Sasani, Kitâb Abân, Téhéran, 1384H.






mardi 9 février 2016

Rabia Al Adawiya (01)







J’ai rencontré un nombre de traductions des propos de Rabia Al Adawiya. Pour autant, je ne puis cacher mon insatisfaction à leurs égards, car ici encore le Verbe mystique s’est rendu dans la platitude des phrases incapables de monter au Ciel. Or, la parole des mystiques pèse d’un poids plus lourd que leurs phrasés. Je propose ici une traduction de la lamentation célèbre de Rabi’a, celle dite « Je t’aime de deux Amours ». Deux amours, c’est-à-dire, n’est-ce pas que c’est de l’amour entre deux êtres qu’Il transparaît sans pouvoir se cacher ? Ainsi donc ne sera jamais évacué ici l’amour de nos chairs incarnées. De celles-ci l’origine commence à déborder : le Principe d’Amour de ce Dieu qui se fasse ce secret d’amour qui ne se révèle qu’au milieu de la Nuit – Nuit des Temps, fût-il, nuit de beuverie et de vin. Des deux amours naissent alors le troisième, non dit, mais à jamais chuchoter : la Gloire Éternelle.


                                                                    *
                                                                   *                              *





« L'Amour ne naît que quand aura apparu Ton Amour dans la Nuit des Temps
Quand mon cœur se surprend de ne pouvoir aimer autrement qu’ainsi

Hier, je m'étais éveillée à son cri
Cet œil qui voit les voiles du cœur que nous ne saurons ignorer

Je T'aime de ces deux Amours
Celui de la Passion
Et celui de l’Être

De la Passion,
Car mon cœur ne pourra que désirer ce Désir primordial de Ta Face

De l’Être,
Car tel est sa chair
Et ce n'est qu'ainsi que les vérités se fassent déclarations

Pourtant, mon être incarné n’y est pour rien dans la prolifération de ces paroles
Mais des deux Amours, il ne saura que naître la Beauté et la Gloire Eternelle »

Rabia Al Adawiya
Traduction : Riyad Dookhy (Dr).







عرفت الهوى من عرفت هواك
أغلقت قلبي عمن عداك

وقمت أناجيك يا من ترى
خفايا القلوب ولسنا نرى

أحبك حبين
حب الهوى وحباً لأنك أهل لذاك
فأما الذى هو حب الهوى
فشغلى بذكرك عمن سواك

وأما الذى أنت أهل له
فكشفك لى الحجب حتى أراك

فلا الحمد في
ذا ولا ذاك لي
ولكن لك الحمد في ذا وذاك


Rabia al Adawiyya al Qaysiyya (رابعة العدوية القيسية) (Rabia Basri) (713/717–801) de Bassora






dimanche 26 juillet 2015

L’urbanisme mauricien en tant que politique du futur (2)



TERRITOIRE: L’urbanisme mauricien en tant que politique du futur (2) ARTICLE PARU DANS LE MAURICIEN | 16 JUILLET, 2011 - 12:00 | PAR RIYAD DOOKHY



Le sens d'un urbanisme éclairé et rationnel comme testament du futur est ce qui devait nous interpeller de manière unanime, pour le bien-être de tout le monde, celui de la grande nation mauricienne, qui comprend tant la métropole que Rodrigues et Agalega.

Il est à craindre que la politique d'un urbanisme intelligent et moderne s’émousse à Maurice, et que peut-être elle n’a jamais eu la place qui lui revenait. Elle ne fait pas généralement partie intégrante des politiques à défendre par nos acteurs politiques. Ce qui fait que les moyens financiers n’y sont pas consacrés car il s’agit d’une politique qui s’inscrit dans la durée, et qui ne serait pas évident à présenter devant l’électorat. Celui-ci répond à des harangues du moment, moulues dans un autre univers. Un gouvernement hésiterait à en faire un programme politique. Or, en raison de notre culture politique mauricienne, nous entamons notre acquis du passé en le consommant pour ne pas en faire un programme du futur.

Revenons ici à l’histoire. Port-Louis fut une planification réussie en son temps, un legs du passé que nous ne pouvons spolier sans mauvaise conscience. Dès 1729, la ville de Port-Louis avait acquis un statut distinct ; le témoignage subsiste dans ses constructions de l’époque qui font partie de la conscience collective mauricienne. Elle jouait alors déjà le futur du destin national que notre génération recueille aujourd'hui. Ce fut une capitale administrative et un port principal. Port-Louis devint une « city » par concession officielle (‘Formal Grant’) de la Reine d’Angleterre, annoncée par le Gouverneur Sir John Shaw Rennie, le 25 août 1964. Cette concession fut reçue le 28 août 1966 par le Conseil municipal de Port-Louis. Ce statut fut accordé en raison de la dimension et l’importance de la ville (vide, Port-Louis – Handbook of the City Council, The Mauritius Printing Co. Ltd, 1966, pp. 57). Au sortir du XIXe siècle, Port-Louis avait maintenu cette dimension. Le défi de Port-Louis, c'est que d'une simple ville elle est appelée à devenir la capitale structurante de la République d’aujourd'hui. Pour cela, il faut qu’elle puisse répondre à une prise de conscience urbanistique partagée par tout le monde.

Le bâtisseur de Port-Louis fut Mahé de La Bourdonnais (1699-1753). Ce qu'il faut retenir de son œuvre, c'est qu'il entendait faire de Port-Louis une cité modèle coquette et confortable (vide, Auguste Toussaint, Port-Louis, deux siècles d’histoire (1735-1935), La Topographie Moderne, Port-Louis, 1936). Cette vision des choses est aujourd'hui un de nos acquis historiques. Dès son arrivée, La Bourdonnais y avait fixé sa résidence (conformément à l’édit du roi daté du 4 novembre 1734, in Mahé de La Bourdonnais, Documents réunis par le comité du bicentenaire de La Bourdonnais, 11 février 1899, Port-Louis, E. Pezzani, rue de la Poudrière, 1899). Mahé de La Bourdonnais nous retient aussi par son dynamisme. Il se levait à quatre heures du matin, pour s’occuper de cette tâche, alors qu’il suivait, lui-même, pendant la journée les travaux, pour ensuite continuer à travailler la nuit dans son cabinet, et régler, entre autres, l’anachronique ‘circulation routière’. Selon ses termes propres : « de la facilité de transports dépend la richesse des habitants de tout pays » (p. 21, ibid). La réflexion urbanistique ne serait donc être nouvelle sur ce territoire.

Pour qui jette un œil sur la carte de Port-Louis, c'est un Paris en miniature que projetait La Bourdonnais dans ses dessins, avec son Champ de Mars, ces ruelles quadrilingues, rationnelles, et ses chaussées, ponts et canaux comme maîtrise du flux humain comme des intempéries, comme une merveille de l’époque, avec une latéralité des espaces tant administratifs, résidentiels que de loisirs (jardins et autres) qui s’emboîtaient. Les Mauriciens n’ont qu’à s’en réjouir, car le Paris d’alors était la ville et le centre du monde. Port-Louis fut ainsi bâti sur un des plus grands plans du monde. Si on a pu, à tort ou à raison, parler d'une ébauche des ‘gratte-ciel’(du moins l’expression trouva mention dans le Quid) à Port-Louis, et des quelques projets (dont le front de mer de Caudan), il importe à tout gouvernement, à toute mairie, à toute administration post-labourdonnaise, de poursuivre cette œuvre selon une conscience urbanistique du XXIe siècle, tout en restant fidèle à l’excellence de cette vision.

Si Port-Louis en est un exemple, toutes nos villes demandent des projets urbanistiques qui ne peuvent faire l’économie de nos programmes politiques. Si, par contre, les partis politiques ne peuvent en concevoir, il appartient à la population, même rurale, d’en exiger, car Maurice demeure une population interurbaine. C'est pour le bien-être de tout le monde que de jouir d’un environnement urbain sain, propre, éclairé où la construction même de l’espace devient une priorité. Il est temps que les Mauriciens puissent porter leurs rêves en réalité. C'est ici le sens premier du mauricianisme.

Un soutien du gouvernement français dans ce schéma, tel qu’il a été annoncé par l’ambassadeur en exercice, est bien entendu fort utile et infiniment louable.



FIN



L’urbanisme mauricien en tant que politique du futur (1)




TERRITOIRE : L’urbanisme mauricien en tant que politique du futur (1) ARTICLE PARU DANS LE MAURICIEN | 15 JUILLET, 2011 - 18:00 | PAR RIYAD DOOKHY


Nos nappes urbaines ont connu des développements sauvages, au gré des événements. Or, le développement s’accompagne d'un effort rationnel de ses conditions. Il ne peut être assuré que dans un lieu (« ubi ») planifié. C'est ainsi que nulle société ne peut faire abstraction de l’urbanisme comme projection de la rationalité sur un territoire. L’urbanisme, au-delà de la pierre et des voiries, est avant tout une inscription des valeurs dans celles-ci. C'est donc un événement culturel avant toute considération fonctionnelle. Pour des sociétés modernes, il s’agit là d’une démocratisation de l’espace et du temps. Le peuple mauricien a bien hérité des plans urbains concrétisés du passé. Nos villes ont été en leur temps des merveilles urbanistiques. Aujourd'hui deux horizons semblent s’ouvrir au peuple mauricien à cet égard, quant à l’avenir même de nos villes.

D’abord nos villes connaîtraient-elles un développement erratique ? C'est ici emprunter un modèle où tout s’entasse, où l’« hybris » n'est pas conjuré, où le chaos s’empile tant horizontalement que verticalement. C'est la cacophonie urbanistique qui s’accompagne d’un niveau d’hygiène déplorable et de mouvements convulsifs. Ceci favoriserait la criminalité, le mal-vivre, la gêne au quotidien, le mal de la ville, et toute forme de désagrément et de pollution. C'est ici les gares et les places publiques insalubres, et hautement polluées, où paradoxalement l’homme n'a pas sa place.

Ou alors, faut-il que les Mauriciens s’investissent dans un modèle où la rationalité de la géométrie épouse les contours de l’esprit. Ici, l’urbanisme est le fruit de la construction de l’espace et de la lumière, dans lequel les architectures dévoilent un programme humain du bien-vivre, de l’aisance et de l’excellence, de l’hygiène, de la propreté et de l’art de vivre en communauté. Ce programme insisterait sur une certaine harmonie et respect de chaque citoyen envers l’autre comme inscrite en son architecture même. Il signifie que des touristes visitent l’île à bon droit, non seulement pour ses plages mais pour l’art de vivre urbain qui y prévaut.

Or nous avons autant de raisons de craindre que le mauvais modèle, le premier cité ici, s’impose de plus en plus à Maurice faute d'une politique en ce sens. Certes, il existe des poches de constructions à caractère commercial qui feraient la fierté d'un développement à la mauricienne. Mais il est ici question de la démocratisation de l’espace sain et intelligent, à la portée de tous les Mauriciens, et non à des « happy few », c'est-à-dire du mal-vivre mauricien au quotidien.

A un tournant de notre histoire, il nous faut aujourd'hui nous inspirer des grandes villes du monde qui ont réussi le défi urbanistique. Comme toute société tiers-mondiste subissant l’urbanisation comme voie et moyen de développement, Maurice en ressort comme d'une expérience qu’elle ne maîtrise que dans une certaine mesure. L’urbanisation y est parfois sauvage, encombrée et inhospitalière, somme toute négative d'une vie saine et paisible. Il ne faut pas que Maurice soit l’exemple de ces villes où le chaos règne. Pour certaines villes tiers-mondistes, à l’instar de Mumbai, le sens de la circulation démographique demeure à l’état brut ; elles connaissent des foules denses et fourmillantes du quotidien comme fait du destin et non de l’homme. Dans ces villes, si un nombre important de gens dorment dans la rue, l’homme et l’animal partageraient le même territoire. Les architectures du sacré côtoieraient avec indifférence et peut-être avec une certaine gêne le monde des profanes. La misère d'une population non prise en compte par l’État et les détritus ne seraient alors que les revêtements des architectures. C'est ainsi inscrire des antivaleurs mêmes dans la forme urbaine. A priori, l’espace structurel n’accueillerait pas alors l’humain, où marcher dans la rue se ferait au péril de sa vie.



A SUIVRE DEMAIN



L’UNIVERSEL: Indignez-vous, version mauricienne






L’UNIVERSEL: Indignez-vous, version mauricienne

ARTICLE PARU DANS LE MAURICIEN | 17 NOVEMBRE, 2011 - 17:00 | PAR RIYAD DOOKHY


Le temps est peut-être venu de faire le procès de la mondialisation. Car dans un rouleau-compresseur d’une pseudo-civilisation mondiale, la réelle civilisation de l’humanité fut écartée. La singularité des peuples est élaguée au profit d'une standardisation factice aux fondements douteux. L’idéologie du libre échange ne peut que favoriser les grands (car il n'y a rien à perdre sauf à conquérir un marché de plus), alors que les petits voient l’éclipse jusqu'à la disparition de leurs marchés (donc cause de la pauvreté). La mondialisation s'est révélée dans sa dynamique réelle comme cause de disparité et d’écart entre pauvres et riches. À notre façon, nous y voyons encore une prémisse pour l’indignation, aujourd'hui devenue courant mondial d’une altermondialisation. Mais le procès de la mondialisation se joue aussi, pour nous, ailleurs, tout comme le procès s’appelle à Maurice à sa façon.

Si, comme Stéphane Hessel et Edgar Morin (pour qui il faut « prendre conscience que la mondialisation constitue à la fois le meilleur et le pire de ce qui a pu advenir à l'humanité »), nous prônons une démondialisation nécessaire et urgente, c’est pour que le monde, tout comme ses divers peuples, retrouvent leurs progrès propres. Le capitalisme anglo-saxon, le producteur de l’idéologie marchande de la mondialisation, ne peut jamais faire office de civilisation (ni d’ailleurs comme le prétendait le socio-communisme russo-chinois). Le capitalisme ne peut que s’alimenter des sociétés toujours en déséquilibre qui jamais ne s’harmoniseront et s’égaleront et ne pourraient que favoriser certains pays riches et superpuissants uniquement. Il ne peut aboutir qu’à un appel d’empire, à un néocolonialisme obligatoire, comme élément régulateur par une superpuissance nécessaire et irréductible en amont, comme condition de possibilité même du capitalisme, aujourd'hui assurée par la présence américaine. C'est ce à quoi s’achemine la notion de l’ « international ». Ceci est structurellement à l’encontre d’une vision métaphysique de l’humanité qui entre dans un projet de lui-même, c'est-à-dire ce à quoi s’achemine la notion de l’ « universalisme ».

Droits « universels » et non « internationaux »

 Beaucoup ont dénoncé ce mal insoupçonné, dont Jacques Attali. Hessel soulignera la bataille de René Cassin pour des droits « universels » et non « internationaux ». Le vocable « international » était proposé par les anglo-saxons lors de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par les Nations unies.  Les droits de l'homme, liés aux efforts de René Cassin, militaient, au sortir de l’holocauste, comme il le disait lui-même si fort bien, pour les « droits des hommes, et de tous les hommes », sans condition d’une configuration des puissances qui structurent le jeu et comme échappant à celles-ci. Dès lors, les droits de l'homme constituent un pas vers l’universel et non vers l’international, suite à un motif d’indignation, dont Stéphane Hessel fut partie.

Le motif de l’indignation tient, ajouterons-nous encore aux pages d’Hessel, comme posture d’indignation tant interne qu’externe. L’indignation mauricienne s’annonce, non pas uniquement devant un tsunami de l’international, devant un débordement d’une certaine humanité marchande pervertie, et en excès d’asservissement du monde à soi, mais devant une fuite du réel de l’humain venant de soi-même, de l’intérieur, d’une néantisation même de Maurice par elle-même. C'est le processus dénégateur d’une société mauricienne qui devait aujourd'hui advenir à soi mais qui est aujourd'hui caractérisée par la corruption, par l’abdication de la société civile, par un monde politique dégénéré et acculé tenant en captivité un destin. La politisation de notre cité se révèle visiblement sans éthique, tout en évacuant les fonctions politiques et ses différentes nominations de leur réel « politikon ».  À ne considérer que le dysfonctionnement en jeu, rien ne nous distingue des sociétés qui ont sombré dans l’abîme, tel le Congo, la Somalie, où la guerre confisque et prime sur le droit d’avoir faim dans la paix, où l’indignation est depuis longtemps morte. Chez nous, la perversité politique prime sur le droit du développement réel, l’illusion est la marque de notre futur creux et sans horizon. Notre indignation ne peut débuter que par une désidéologisation également urgente et nécessaire pour retrouver les fondements de ce qui nous structure.

Le peuple authentique


Le motif de la Résistance hessellienne était l’indignation devant la démission des responsables politiques, économiques et intellectuels face à une dictature de la contingence. C’était en vue de tracer une autre vision de l’histoire. Les motifs de l’indignation à la mauricienne ne manquent pas, et excèdent de toutes parts. Simplement il nous manque la bravoure et l’éthique de notre peuple pour rappeler les vraies valeurs qui nous font « nous ». Il nous manque la capacité de scruter l’horizon d’un soleil levant qui portera l’appel à l’encontre du mensonge institué, l’horizon des valeurs où l’homme politique arrive à remplir son rôle véritable. Or, chaque citoyen est capable de voir au-delà des perversités institutionnalisées. Il lui faut en faire état afin que chacun soit reconnu dans ses droits et non dans des préjugés négateurs et institutionnalisés.
L’indignation, c'est l’annonce d’un peuple qui advient à l’horizon brumeux. Le peuple authentique ne peut que chercher l’universel, si a fortiori il est lui-même composé de plusieurs ethnies, de plusieurs « pré-cultures » tout en se tenant au carrefour de plusieurs « pré-récits », comme c'est le cas pour le peuple mauricien. Le peuple qui advient ne pourra être que celui qui a su écouter le fond de l’humanité pour entendre ce qui y résonne. C'est ce dont Maurice devait être le pionnier pour être le sol sur lequel celui-ci s’accomplit. Mais pour autant que ce fut un futur nostalgique nié, un Abel qui fut assassiné par un Caïn venu sans s’annoncer, (car étant un futur qui n’advient pas, il s’inscrit dans l’ordre de la nostalgie dans ce qui ne fut pas, ou n’est plus, voire ne sera pas), nous le réclamons.

Cette bravoure et cette éthique commencent, et non des moindres, par une simple indignation. La valeur d’un peuple se tient justement ici. Mauriciens, les motifs d’indignation, c’est à chacun de les voir. L’indignation, en fait, n'est-il pas alors qu’un rappel de la conscience aux fins fonds de nous-mêmes, un réveil face à l’assoupissement, un rappel à soi ? Maurice n’est-il pas enfin le meilleur et le pire de ce qui a pu advenir aux mauriciens ?
NB : Les deux livres de Stéphane Hessel vendus à des millions d’exemplaires : Stéphane Hessel, “Indignez Vous”, éditions de ceux qui marchent contre le vent, Indigènes éditions, 2011 ; Stéphane Hessel, Edgar Morin, “Le chemin de l’espérance”, Fayard, 2011. Nous ne pouvons que les soutenir, ainsi que le philosophe tunisien Youssef Sedik.





Le citoyen mauricien et le budget



Riyad DOOKHY: Le citoyen mauricien et le budget
5 novembre 2011, 09:23

Un budget n'a de mérite que si les prévisions affichées sont conformes à la réalité. Il doit proposer des visions réelles et réalistes tout en favorisant la prospérité des citoyens.

Sans viser ici un gouvernement quelconque ou une politique particulière, rappelons quelques principes généraux. Tout budget appel un suivi, c’est-à-dire un exercice qui vise à s’assurer de la réalité des actions annoncées. Le suivi appelle aussi à la vigilance. Par exemple, comment s’assurer qu’il n’y aurait pas corruption ? Comment s’assurer que telle recette serait affectée à telle activité sans que l’ « argent » ne disparaisse entre temps, ou sous couvert d’une politique, l’on y voit l’occasion pour en faire une autre ?

Gardons à l’esprit les principes démocratiques : il est une violation de l’institution parlementaire si une pratique de double budget est consacrée ; un premier budget serait le discours officiel, qui cache un second, le vrai, que seuls les proches ont connaissance.

Tout comme nécessitant un suivi, un budget doit répondre aussi à une analyse pré-budgétaire, qui prend acte de la situation de l’État.

Dans la lignée des perspectives précédentes, la question que doit se poser le mauricien est d’abord si les budgets précédents ont eu des suivis efficaces à Maurice. Est-ce que le simple citoyen est au courant du budget de l’année dernière et celui des années précédentes et si les dépenses promises ont bien été le cas ? Dans le cas où il y aurait eu malversation sous un gouvernement quelconque – toute tendance confondue - que faire ? Quel remède nous offrent les institutions mauriciennes ?

Le mauricien est-il suffisamment au courant des dépenses gouvernementales ? Existe-t-il des mises en information transparente et suffisante à l’intention du simple citoyen mauricien qui respecteront ainsi les institutions essentielles de la démocratie ?

Ce sont ici quelques questions préliminaires que doivent se poser le mauricien à l’occasion de la présentation du budget. Ces questions peuvent apporter des réponses différentes selon les vues des citoyens et selon leurs affectations partisanes ou selon leur soutien à tel ou tel gouvernement qui prédétermineront la réponse. Mais la bonne réponse sera celle qui aidera le mieux au développement réel de Maurice, à l’intégrité des parlementaires (peu importe leur parti ou leur allégeance à tel ou tel gouvernement), et à un contrôle effectif des dépenses et des recettes afin d’éviter toute possibilité présente ou future – voire rétrospective - de malversations et de duperie du peuple. Enfin, il s’agit d’assurer la prospérité de tous nos citoyens et une démocratie digne de son nom et de faire de Maurice une zone de prospérité.


Rappelons que dans le système anglais, celui-ci bénéficie du contrôle européen, qui n’est pas le cas à Maurice. Plus sommairement, faut-il aussi introduire parallèlement une cour des comptes à Maurice comme juridiction ayant des pouvoirs indépendants par-dessus tout contrôle intra-parlementaire?

L’impasse de la politique culturelle mauricienne





L’impasse de la politique culturelle mauricienne (In Le Mauricien du 24 juin 2011)




La politique culturelle, si elle n'est pas un échec à Maurice, n’en est pas moins une notion qui reste coincée dans une impasse. Elle est désormais synonyme de repli identitaire, de repli communautaire et d’affermissement d'un passé à tout jamais inaccessible et en porte-à-faux. Une manifestation culturelle, au-delà des vérités religieuses, signifie plutôt une promotion d'une certaine représentation arrachée à un certain passé. Elle ne peut, dans ce cas, être compatible à toute vraie «culture». Insistons-en, ce n'est pas l’ethnie, le culte ou la religion, mais la représentation de ce que la culture veut dire pour le peuple mauricien qui est ici en cause.

La politique culturelle a traduit à Maurice un accroissement des activités perçues comme repli identitaire. Nos chaînes de radio et de télévision nationales s’enferment dans la mécanique d’une logique chiffrée, de ce que la «culture» est censée dire et de ce quelle pourrait être dans le cadre d'un État pluriethnique. Ce serait présenter des musiques ou des «fenêtres horaires» en boucle alternée selon les langues, selon des catégories identifiées ethniquement, non nécessairement selon une identification réelle et réaliste. Or le mal de cette politique c'est d’offrir tout sauf la culture. Si elle peut être défendue comme un compromis social, et une reconnaissance de la multiplicité, elle ne permet pas l’émergence d'une vraie vision de la culture, et seule, elle conduit à un abêtissement du peuple comme perspective unique de la culture. Si l’on peut faire état de quelques tentatives tendant à voir au-delà de cette politique unique, celles-ci sont encore insuffisamment présentes. Certaines radios libres ont essayé une fusion de ce boucle et fenêtres, mais ici encore, et comme une aporie, ce choix entraînerait plus de désaffectations qu’une intégration réelle des auditeurs. La culture mauricienne semble ne pas pouvoir sortir de cette impasse. Nulle solution apparaît alors comme convenable, car la logique qui prévaut a occulté le véritable sens d'une culture nécessaire et possible. Nous voulons ici insister sur l’impact de cette politique culturelle et une certaine mise à distance nécessaire à son égard.

L’incapacité mauricienne à réfléchir la culture n'est pas sans conséquence grave. En effet, cette politique prive notre génération présente d’un véritable droit à la culture. Or, plus que jamais, la génération mauricienne contemporaine a besoin de comprendre et s’orienter dans le présent et la modernité, une posture qui fait appel à l’arsenal culturel dont dispose un individu, même insulaire. En cela, l’enjeu de la culture est trop grave pour qu’il se laisse enfermer dans des discours idéologiques, soumis à un monde politique parfois sans scrupules.
Cette incapacité agit sur la possibilité du peuple mauricien de jouir même d’un «temps libre» commun. Celui-ci est tout aussi déterminant que les valeurs, les choix politiques ou les acquis d'un peuple. Or ce qui apparaît comme une évidence n'en est pas une, et peu de peuples au monde peuvent se dire pouvant bénéficier du temps libre comme projet, et non comme oisiveté ou aliénation à la vie. Il n’en est pas sur que le peuple mauricien en fait partie. Or, la modernité a été synonyme d'une certaine démocratisation du loisir et de la réflexion désintéressée. Le peuple mauricien devait pouvoir participer à un temps libre commun. C’est la scansion rythmique d'une profondeur de soi et de la collectivité qui résonne. Il serait plus audible et chargeur des hautes vérités que tout discours idéologique car il serait lié à la vérité d’un vécu éclairé. Il n’en fut peu qu’un tel besoin ce genre eût été transcrit en des formulations qu’incorporaient les nouveaux droits qui furent élaborés au XXe siècle dans des textes à caractère international.  Le droit  - et en cela le droit international - constitue désormais le mode de garantie de l’homme à lui-même et à sa vie collective.

Au-delà d'une oisiveté vaine, le temps libre commun signifie pour un peuple une capacité à s’organiser une vie tant orientée vers une praxis civilisatrice qu’un vécu abouti, comportant tant de choix, de valeurs et d’engagements que de «lumières». Il va de soi alors que tout temps libre est adossé à une culture qui soit véritablement telle, ou alors il en appellerait une. Or selon la compréhension de la culture à Maurice, le temps libre réel et mis en commun ne peut être que fiction. La culture mauricienne pèse comme une obligation d’un discours et comme une identité fugitive ayant pour but principal d’insérer une césure au présent et un déracinement et aliénation de l’individu face à la vie qui se présente à lui. C'est toujours en porte-à-faux que le mauricien s’ouvre à la culture.

Ce que les mauriciens doivent retenir de la «fête de la musique» de Jacques Lang en France, ou des fêtes populaires à travers le monde, ce n'est pas une «fête», ou la présence d'une certaine «musique». C'est la capacité d'un temps libre commun du peuple, un événement qui consacre un moment de l’histoire à l’individu. Pour qu’un peuple puisse se donner une «fête», un loisir, ceci implique une évolution et un stade social à même à permettre une entente mutuelle, au-delà des idéologies du pouvoir, en donnant à chacun une participation réelle à la collectivité. Peut-on imaginer un événement réaliste de ce genre à Maurice, où tout un chacun y participerait en toute sécurité, sans menace, sans aliénation, sans fracture interne ? Certains diront que non, car le vécu mauricien n'a pas atteint ce degré d’entente, de fusion culturelle, qui permettrait à tout à chacun de pouvoir s’immerger en une entente nationale. Le fait de violence et des désagréments typiques des moments collectifs mauriciens souilleraient peut-être aussi toute «fête» de ce genre. Pouvoir appeler à une mise en commun du temps libre ne peut se faire que si certains fondements sont acquis. Il ne peut pas aussi se faire par simple décret politique, ou par simple calcul mathématisable en heures d’antenne. C'est tout une évolution d'un peuple et du lien que celui-ci entretient réellement à son égard, et à la confiance qui prévaut entre ses membres. C'est ici où il faut peut-être chercher un premier élément de culture mauricienne, c'est-à-dire dans une vision qui tente à éclairer le peuple, et lui permettre, même en temps de loisir, commun ou individuel, à une pédagogie du vécu exprimée dans la noblesse des arts. Or la dimension d'une vraie pédagogie, ayant ses vertus propres, du vécu mauricien, semble être absente de notre vision de la culture. Cette pédagogie est aussi absente quand il s’agit de comprendre les arts culturels dans leurs profondeurs et de ce qu’ils permettent à l’individu d’hériter au présent. La culture n'est pas un discours idéologique, mais un témoignage de l’humain appelé à se faire universel. Pour un Lévinas, la culture devient alors une responsabilité qu’endosse l’individu plus que tout autre, comme témoignage de l’humain.
Le mauricien ne peut être en marge de l’histoire, au risque de finir dans un musée anthropologique. Il importe à notre génération, au-delà des erreurs de celles du passé, de pouvoir se définir, et d’appréhender même sa culture, et non «ses cultures mathématisables», comme fait civilisateur. C'est ce qu’un peuple peut transmettre à lui-même et à son futur, comme intelligibilité de la vie et comme définition de l'humain. Que nos antennes se chiffrent en quantité musicale alternée n'est nullement un signe de la culture, mais au contraire un signe certain de son atrophie. Beaucoup de peuple ont sombré dans des politiques culturelles qui ont conduit à des impasses et à la désintégration de l’État. Il importe à notre génération d’aujourd'hui d’en être conscient et qu’elle soit plus éclairée que la précédente.


Riyad DOOKHY, avocat (Gray’s Inn, Grande-Bretagne et chercheur (IRCM, France)