DOOKHY Riyad, "Pour une réinvention
posthume de la nation mauricienne"
REGARD PHILOSOPHIQUE: Pour une réinvention posthume de la nation
mauricienne
ARTICLE PARU DANS LE MAURICIEN | 27 OCTOBRE, 2011 -
16:40 | PAR RIYAD DOOKHY
La nation mauricienne n'est pas vraiment, hélas, l’enjeu réel du monde
politique contemporain, toute tendance confondue. Décimation par ce qui devait
être l’expression authentique, telle est sa tragédie. C’est alors une tragédie
de ne pouvoir se réaliser réellement, comme tragédie de l’existence du
mauricien même, comme privé d’être participant et concepteur conscient à un devenir.
Pour avoir pataugé dans des fausses promesses, creuses en elles-mêmes,
l’univers politique ne participe qu’illégitimement à un sociétal en captivité.
L’intérêt mauricien d’un devenir réel n'est plus de mise, et doit être évacué
pour des considérations factices.
Le mauricien ne bénéficie pas des traditions qui soumettraient le pouvoir à
des contrôles effectifs et de la garantie de l’expérience, à l’instar des
peuples qui ont à leur actif des histoires millénaires. La marche mauricienne
demeure toujours à l’état d’un projet possible, d’une réalisation conjuguée au
futur, renvoyée dans une fiction idéale mais jamais conjurée à l’effectivité.
Les tribuns à qui échoiraient le « vocare » de ce dire ne pourront
que le fredonner sans convictions réelles, et pour cause, car l’existence de ce
qui est à dire précède leurs offices, et participe à une dynamique qui n'est
pas celle de l’instant.
Pour autant, les mauriciens ne sauraient se constituer comme une nation
sans testament, même si celui-ci ne peut être ramené à un dire du tribun. Ce ne
serait qu’aux chantres de l’île de l’écrire. Ou alors l’écriture fut-elle
achevée, comme fin de l'histoire même, comme déni de réalisation
irrémédiable ? Cette menace est grave et pesante. Alors, qui aura
confisqué l’espoir ? L’espoir d’un peuple devant l’appel, devant le
vertige de se faire soi, devant le droit à la pleine réalisation de soi ?
L’espoir finalement d'une autre réalisation possible ? Si nous
privilégions le vocable « peuple » et non « nation » ici,
c'est pour mettre en exergue l’immanence d'une signification émanant de
l’individu, qui demeure dans le champ du subjectif et non dans une aliénation
de la nation comme création objective.
Notre testament comporte des pages blanches qui appellent à la solennité de
l’écriture, même si c'est de façon posthume. Dirons-nous demain à ceux
d’aujourd'hui que nous pointerons à l’index que ce sont eux qui nous ont
confisqué cet espoir ? Le temps viendra certainement pour une lucidité
qu’accompagne l’événement de soi.
Qu’est-ce à dire ? Opposons le pessimisme pour l’optimisme mauricien.
C’est, en fait, à l’encontre même de l’« Institution », que les
peuples du XXIème siècle se sont opposés. Ceux-ci se sont distancés des
institutions politiques et se sont proclamés ne plus se reconnaître en elles.
Or l’Institution appelle les nœuds de l’histoire se situant « dans »
et « par » l’histoire ; c'est donc une invention de la nation
qui ose défier ces nœuds, pour dire que celle-là n'est pas tributaire de
ceux-ci ; c'est le dépassement de la nation à l’encontre d’elle-même et
par elle-même. Ne faut-il pas alors parler de « réinvention », car
tout en s’appuyant sur l’histoire, sur le cours des choses, sur une facticité
donnée (« Faktizität »), un collectif a osé imprimer sa volonté comme
choix du destin, pour sortir de l’histoire, d'une histoire prise sur
elle-même ?
Ce qui se passe au Moyen Orient interpelle la réflexion. La révolution du
jasmin ne s'est pas opérée dans des formes traditionnelles d’un
anti-institutionnalisme prévisible. Elle a été comme une invention d’elle-même
et de la nation par delà l’Institution, visant un tout autre horizon, celui
d'une signification ouverte. Le peuple, tout comme la nation, s’invente et
s’appelle, au début de notre millénaire. Millénarisme grave, le temps est
désormais à une nouvelle humanité politique, voire à un temps messianique des
libertés et des droits confisqués, de ceux notamment des sociétaux en
captivité.
Dans l’impasse où nous sommes il importe aux mauriciens de se réinventer
pleinement, non dans des fausses promesses, mais dans ce qu’ils ont de plus
précieux, et dans ce qui les précède. C'est à cette seule condition qu’ils
seront capables de lire et de compléter leur testament.
La « réinvention » n'est pas un mode de l’exceptionnel, mais du
quotidien. Quand un peuple ne s’appelle plus, il se condamne à son effritement.
Il n'est plus capable alors de se créer. De même, la nation mauricienne n’a
jamais osé se réinventer par delà elle-même. Pour autant, notre futur en
dépend. Elle n’a jamais osé dépasser l’histoire par le biais de celle-ci, pour
avoir la vue sombre. Pourtant, c'est ce dépassement qui garantit son futur au
risque même de sa mort certaine. Ceci ne peut être qu’évident pour celui qui
contemple notre jeu politique actuel. Douterons-nous toutefois qu’elle aura
entendu son appel à elle-même, ou le vrombissement de son vertige ?
Peut-être.
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