dimanche 26 juillet 2015

L’impasse de la politique culturelle mauricienne





L’impasse de la politique culturelle mauricienne (In Le Mauricien du 24 juin 2011)




La politique culturelle, si elle n'est pas un échec à Maurice, n’en est pas moins une notion qui reste coincée dans une impasse. Elle est désormais synonyme de repli identitaire, de repli communautaire et d’affermissement d'un passé à tout jamais inaccessible et en porte-à-faux. Une manifestation culturelle, au-delà des vérités religieuses, signifie plutôt une promotion d'une certaine représentation arrachée à un certain passé. Elle ne peut, dans ce cas, être compatible à toute vraie «culture». Insistons-en, ce n'est pas l’ethnie, le culte ou la religion, mais la représentation de ce que la culture veut dire pour le peuple mauricien qui est ici en cause.

La politique culturelle a traduit à Maurice un accroissement des activités perçues comme repli identitaire. Nos chaînes de radio et de télévision nationales s’enferment dans la mécanique d’une logique chiffrée, de ce que la «culture» est censée dire et de ce quelle pourrait être dans le cadre d'un État pluriethnique. Ce serait présenter des musiques ou des «fenêtres horaires» en boucle alternée selon les langues, selon des catégories identifiées ethniquement, non nécessairement selon une identification réelle et réaliste. Or le mal de cette politique c'est d’offrir tout sauf la culture. Si elle peut être défendue comme un compromis social, et une reconnaissance de la multiplicité, elle ne permet pas l’émergence d'une vraie vision de la culture, et seule, elle conduit à un abêtissement du peuple comme perspective unique de la culture. Si l’on peut faire état de quelques tentatives tendant à voir au-delà de cette politique unique, celles-ci sont encore insuffisamment présentes. Certaines radios libres ont essayé une fusion de ce boucle et fenêtres, mais ici encore, et comme une aporie, ce choix entraînerait plus de désaffectations qu’une intégration réelle des auditeurs. La culture mauricienne semble ne pas pouvoir sortir de cette impasse. Nulle solution apparaît alors comme convenable, car la logique qui prévaut a occulté le véritable sens d'une culture nécessaire et possible. Nous voulons ici insister sur l’impact de cette politique culturelle et une certaine mise à distance nécessaire à son égard.

L’incapacité mauricienne à réfléchir la culture n'est pas sans conséquence grave. En effet, cette politique prive notre génération présente d’un véritable droit à la culture. Or, plus que jamais, la génération mauricienne contemporaine a besoin de comprendre et s’orienter dans le présent et la modernité, une posture qui fait appel à l’arsenal culturel dont dispose un individu, même insulaire. En cela, l’enjeu de la culture est trop grave pour qu’il se laisse enfermer dans des discours idéologiques, soumis à un monde politique parfois sans scrupules.
Cette incapacité agit sur la possibilité du peuple mauricien de jouir même d’un «temps libre» commun. Celui-ci est tout aussi déterminant que les valeurs, les choix politiques ou les acquis d'un peuple. Or ce qui apparaît comme une évidence n'en est pas une, et peu de peuples au monde peuvent se dire pouvant bénéficier du temps libre comme projet, et non comme oisiveté ou aliénation à la vie. Il n’en est pas sur que le peuple mauricien en fait partie. Or, la modernité a été synonyme d'une certaine démocratisation du loisir et de la réflexion désintéressée. Le peuple mauricien devait pouvoir participer à un temps libre commun. C’est la scansion rythmique d'une profondeur de soi et de la collectivité qui résonne. Il serait plus audible et chargeur des hautes vérités que tout discours idéologique car il serait lié à la vérité d’un vécu éclairé. Il n’en fut peu qu’un tel besoin ce genre eût été transcrit en des formulations qu’incorporaient les nouveaux droits qui furent élaborés au XXe siècle dans des textes à caractère international.  Le droit  - et en cela le droit international - constitue désormais le mode de garantie de l’homme à lui-même et à sa vie collective.

Au-delà d'une oisiveté vaine, le temps libre commun signifie pour un peuple une capacité à s’organiser une vie tant orientée vers une praxis civilisatrice qu’un vécu abouti, comportant tant de choix, de valeurs et d’engagements que de «lumières». Il va de soi alors que tout temps libre est adossé à une culture qui soit véritablement telle, ou alors il en appellerait une. Or selon la compréhension de la culture à Maurice, le temps libre réel et mis en commun ne peut être que fiction. La culture mauricienne pèse comme une obligation d’un discours et comme une identité fugitive ayant pour but principal d’insérer une césure au présent et un déracinement et aliénation de l’individu face à la vie qui se présente à lui. C'est toujours en porte-à-faux que le mauricien s’ouvre à la culture.

Ce que les mauriciens doivent retenir de la «fête de la musique» de Jacques Lang en France, ou des fêtes populaires à travers le monde, ce n'est pas une «fête», ou la présence d'une certaine «musique». C'est la capacité d'un temps libre commun du peuple, un événement qui consacre un moment de l’histoire à l’individu. Pour qu’un peuple puisse se donner une «fête», un loisir, ceci implique une évolution et un stade social à même à permettre une entente mutuelle, au-delà des idéologies du pouvoir, en donnant à chacun une participation réelle à la collectivité. Peut-on imaginer un événement réaliste de ce genre à Maurice, où tout un chacun y participerait en toute sécurité, sans menace, sans aliénation, sans fracture interne ? Certains diront que non, car le vécu mauricien n'a pas atteint ce degré d’entente, de fusion culturelle, qui permettrait à tout à chacun de pouvoir s’immerger en une entente nationale. Le fait de violence et des désagréments typiques des moments collectifs mauriciens souilleraient peut-être aussi toute «fête» de ce genre. Pouvoir appeler à une mise en commun du temps libre ne peut se faire que si certains fondements sont acquis. Il ne peut pas aussi se faire par simple décret politique, ou par simple calcul mathématisable en heures d’antenne. C'est tout une évolution d'un peuple et du lien que celui-ci entretient réellement à son égard, et à la confiance qui prévaut entre ses membres. C'est ici où il faut peut-être chercher un premier élément de culture mauricienne, c'est-à-dire dans une vision qui tente à éclairer le peuple, et lui permettre, même en temps de loisir, commun ou individuel, à une pédagogie du vécu exprimée dans la noblesse des arts. Or la dimension d'une vraie pédagogie, ayant ses vertus propres, du vécu mauricien, semble être absente de notre vision de la culture. Cette pédagogie est aussi absente quand il s’agit de comprendre les arts culturels dans leurs profondeurs et de ce qu’ils permettent à l’individu d’hériter au présent. La culture n'est pas un discours idéologique, mais un témoignage de l’humain appelé à se faire universel. Pour un Lévinas, la culture devient alors une responsabilité qu’endosse l’individu plus que tout autre, comme témoignage de l’humain.
Le mauricien ne peut être en marge de l’histoire, au risque de finir dans un musée anthropologique. Il importe à notre génération, au-delà des erreurs de celles du passé, de pouvoir se définir, et d’appréhender même sa culture, et non «ses cultures mathématisables», comme fait civilisateur. C'est ce qu’un peuple peut transmettre à lui-même et à son futur, comme intelligibilité de la vie et comme définition de l'humain. Que nos antennes se chiffrent en quantité musicale alternée n'est nullement un signe de la culture, mais au contraire un signe certain de son atrophie. Beaucoup de peuple ont sombré dans des politiques culturelles qui ont conduit à des impasses et à la désintégration de l’État. Il importe à notre génération d’aujourd'hui d’en être conscient et qu’elle soit plus éclairée que la précédente.


Riyad DOOKHY, avocat (Gray’s Inn, Grande-Bretagne et chercheur (IRCM, France)

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