mardi 2 juin 2015

L’espérance dans les monothéismes





Riyad Dookhy (Dr) (et als), « Messianisme, souveraineté et sécularisation », Presses Universitaire de Strasbourg, Les cahiers philosophiques de Strasbourg, 2015








ENTRETIEN DE RIYAD DOOKHY (GERI) :

R. Dookhy : « ... Il m’apparaît d'abord nécessaire de rappeler le sens d’une paganisation de l’espérance constatée par Pierre Gire, (Penser l’expression religieuse)[...].
[...] Ma pensée sur l'historialité vise une certaine temporalité que j'essaie d'expliquer. Bien entendu, on pourra discuter ici la place de l'espérance, comme une certaine traduction théologique. 
[...] Gire, lui-même décrit l’histoire de l’espérance, suite aux alliances israélites, comme ayant été scindée en « espoir anthropocentrique » et « espérance théocentrique ». Je pense que Gire pointe bien la sécularisation de l’espérance. Le peuple israélite avait bien vécu cette nécessité de projeter son avenir sur la terre. Comme le dit Gire : « L’oubli de Dieu engendre la déification des œuvres humaines qui jamais ne peuvent donner ce qu’elles promettent ». C'est ce qui explique la dérive de l’espérance vers l’espoir. Mais il reste une conscience de l’espérance originale théocentrique qui est elle-même ambiguë et équivoque, en ce sens qu’elle implique une sécularisation (la venue d'un âge) et l’ère d’un royaume du Ciel.
[...] L’espérance, dans l’islam et ailleurs, sous-entend l’éthique et la connaissance spirituelle, comme deux moyens qu’elle porte pour elle-même.
[…]
[...] Tant le Coran que l’Ancien Testament nous laissent comprendre une vertu de l’espérance comme perfection sur la terre. C’est la grande promesse faite à Abraham (à titre d’exemple : Gen. 12, 2-3 ; 14, 14-18, et, Coran 6: 76-79) 
[...] Certes, l’espérance juive est essentiellement messianique même s’il faut distinguer un messianisme réel (les biens messianique) et des messianismes personnels (le Messie). L’espérance vise une plénitude de vie terrestre dans l’intimité de « Yahvé » et le salut de l’au-delà. Le christianisme et l’islam, en tant que monothéismes visant le salut de l’au-delà, sont d’emblée animés par une même espérance. Le Messie (le Mahdi) est la figure incarnée et ambiguë, car l’espérance se réalisera sur terre. Celle-ci aura son mot à dire. Le Ciel n’aura de vie indépendante qu’avec ce que la Terre lui aura légué.
[...] Si dans le christianisme l’espérance s’ordonne en une compréhension triadique, les trois principales vertus théologales, dans l’islam nous avons un mouvement dualiste (« khâwf » et « rajâ »). Dans le christianisme, c’est bien Saint Paul qui pose la fameuse triade théologale : foi, espérance, charité. Dans l’islam, l’angoisse (« khâwf ») et l’espérance (« rajâ ») sont deux stations (« maqâm ») du cheminement du croyant. Selon certaines traditions historiques de certains théologiens musulmans, tels le « Qūt al-qulūb » de Baghdadi Abū ālib al-Makkī and l’ « Iʾ ʿulūm al-dīn » d’al-Ghazālī, ces stations succéderaient à la patience (« abr ») et à la gratitude (« shukr ») alors qu’elles précéderaient le dénuement ou la pauvreté (« faqr ») et la renonciation (« zuhd »). Je pense qu’on aura aucune difficulté à y voir comment ces auteurs ont pu, à tort ou à raison, faire le lien de ce mouvement dualiste comme tant une position que serait coranique (Coran 4, 104 et 79, 40) ou prophétique.
[...] L’angoisse est un principe de négativité que j’avais traité ailleurs et qu’on retrouve dans les écrits d’Iqbal (qu’on pourrait rapprocher avec la négativité au sein du christianisme, exprimé comme par exemple par Dostoïevski – voir notre travail là-dessus). 
[...] « ʿAmal », selon Boer, (« exécution, action ») serait employé par les théologiens spéculatifs, en lien avec la foi ou avec « ʿilm » et « naar ». Pour Gardet, et, selon un certain vocabulaire coranique et prophétique, il s’opposerait à « naar », comme connaissance spéculative. Il doit être distingué du « fiʿl », les actes. ʿAmal ressort du domaine pratique de l’action morale. En tout état de cause nous avons alors une traduction de l’espérance dans un vocabulaire propre en islam.
[...] ».



http://les-livres-de-philosophie.blogspot.fr/2015/06/les-cahiers-philosophiques-de.html


http://www.e-leclerc.com/espace+culturel/produit/cahiers-philosophiques-de-strasbourg-les-n-37,28568266/



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