dimanche 26 juillet 2015

Définir l’être mauricien par-delà l’histoire (1)





 
Le jeudi 13 janvier 2011
 
Forum le mauricien
 
Riyad DOOKHY, «Définir l’être mauricien par-delà l’histoire (1)» », Regard Philosophique, Forum, Le Mauricien, jeudi 13 janvier 2011.


Le Mauricien, jeudi 13 janvier 2011
Définir l'être mauricien par-delà l'histoire (1)
RIYAD DOOKHY, Barrister (Londres) et chercheur (IRCM, France)





Peut-on s'interroger sur une possible définition du mauricien au-delà des formes institutionnelles qui nous structurent ? Une interrogation qui porterait même au-delà des aléas de l'histoire et qui serait capable d'engager la réalité autre que formelle ou institutionnelle tout en permettant une constitution de soi et l'assise d'une identité mauricienne. Telle est peut-être l'entreprise que beaucoup interpellent parfois sans savoir dans quelle direction se tourner.

Sans doute, Maurice est-elle trop jeune pour se poser des questions avant-gardistes, pour ambitionner à interrompre verticalement son historicité… Notre pensée insulaire demeure encore à l'état d'une mise en programme des institutions reçues, d'un surréalisme de l'être et du vécu, d'un prolongement d'une histoire dont nous sommes les protagonistes en aval.
L'histoire de nos institutions (qui règlent nos vies) nous échappe et s'était déployée dans un autre temps et sur une autre terre que la nôtre. De plus, nos institutions, reçues, copiées, montées, ont subi ô combien d'altérations. Si nous avons reçu une forme de parlement, nous l'avons - aléas de l'histoire -, traduit en une seule chambre, alors que le modèle-source fonctionne en trois états comme contrôle consolidé, comme garde-fou de la démocratie, qui s'enracinait dans un développement millénaire qui démarra peut-être avec des personnalités, dont un Simon de Montfort (XIIIe siècle). Si, également, nous avons reçu le modèle des lectures parlementaires des projets de lois, comme lectures différées pour marquer un temps de réflexion, de pensée et de débat, nous l'avons traduit en une perte de temps futile, car le débat national n'a souvent pas le temps d'être, ou celui d'être en posture de l'être. La " loi " en création, chez nous, se résumerait facilement en deux lectures formelles, hâtives, parfois même sans intervalles, sauf peut-être et sans jeu de mots, pour une pause déjeuner. L'intervalle dérange et se lit comme un délai connotant le retard et non celui de la réflexion et du mûrissement. Recevant une forme institutionnelle millénaire, nous l'avons, par contre, évacuée de sa véritable assisse démocrate, de son âme, tout en gardant le squelette. Autre dictature que celle-ci, celle des institutions qui sont en apparence démocratiques. Maîtres de la réception sans en étant maîtres de la dynamique des formes que l'on accueille, qu'importe que l'on décrive les dysfonctionnements institutionnels face à une résignation à se faire mauvais copistes.
Pourtant, tentons ici l'aventure d'une réflexion au-delà de la forme institutionnelle pour essayer d'y voir un point de repère pour une identité mauricienne propre, un point de rencontre entre un passé reçu (et ses institutions) et un présent vécu. Abordons la condition première qui soit celle de la temporalité d'un peuple, c'est-à-dire là où un peuple parvient à s'interroger sur sa réalité présente, et se pose des questions, non nécessairement quant à son histoire, mais quant à lui-même, à son être, donc à son identité propre.

Visée civilisatrice
Certes, le temps historique objectif se contraste toujours avec un " temps vécu " subjectif, fût-il un temps bergsonien ou proustien (qui d'ailleurs comme le démontrait celui-ci, est un vécu à jamais perdu, irrécupérable, que seul le style de l'homme, c'est-à-dire sa conscience, ou une identité de soi, permet de ré-arpenter). Mais tout peuple, selon nous, s'il se donne un passé construit, aura inversement besoin, mais plus que celui-ci, d'un futur. Le propre d'un peuple n'est pas tant, comme l'on a tenté de le définir (dont le célèbre Ernest Renan et son " Qu'est-ce qu'une nation ? "), un élément objectif rassembleur, tel un territoire, un mythe, une langue ou une culture ; - peut-être, mais pas uniformément, ou encore comment dès lors que sommes multiculturels, ayant nos mythes et nos traditions divergentes ? De tels critères ne peuvent être que fractures et aliénations pour le peuple mauricien.

Le propre d'un peuple, et en cela le peuple mauricien lui-même, est d'abord, selon nous, dans sa relation "temporelle" avec son temps vécu, qui appelle les profondeurs de sa visée civilisatrice, au-delà même du territoire, au-delà de l'histoire historiographique, au-delà de la forme évacuée en une quelconque "objectivité" d'un déroulement des événements historiques. En d'autres mots, au-delà d'une définition par le territoire (définition juridico-politique), au-delà d'une définition par l'histoire, voyons la réalité d'un vécu mauricien, et voyons comment s'y dessine une identité propre. Et c'est ici où se saisit en premier lieu un esprit mauricien. Se limiter à l'histoire événementielle, dans ses déchirements, dans ses oppositions, fera de Maurice un lieu impossible, condamnée à ne jamais être, à ne pas avoir de nom véritable à se donner, à ne pas être un authentique projet de civilisation.
RIYAD DOOKHY, Barrister (Londres) et chercheur (IRCM, France)

A SUIVRE


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