dimanche 26 juillet 2015

Définir l'être mauricien par-delà l'histoire (2)





 
Le Mauricien, vendredi 14 janvier 2011
Définir l'être mauricien par-delà l'histoire (2)
RIYAD DOOKHY, Barrister (Londres) et chercheur (IRCM, France)


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Dans la réalité vécue du mauricien, ce qui lui fait 'être' en tant que mauricien, c'est un futur commun, au-delà de tout autre sorte d'identification. Le mauricien l'est d'abord parce qu'il entre dans un projet commun avec d'autres 'mauriciens', à un point donné par le temps (donc son lien temporel), d'où dépend la survie de son être, et de celle des générations qui lui succéderont. C'est là le point de sa fixation dans le temps. Du moins, au-delà du fait que l'on soit uni sur un espace commun, il existe aussi un temps commun du mauricien. Toutefois, à la différence d'un temps linéaire, ce temps est vertical, en ce sens qu'il appelle déjà (ici dans le présent) un futur. Le mauricien est un être en projet d'un futur qui s'ouvre à lui en tant que mauricien. Le futur l'interpelle à tout jamais, car le présent identificatoire qui lui est donné peut à n'importe quel moment se dissoudre sans l'horizon de ce futur. L'ombre du futur le devance, tout en le définissant et en lui conférant son unité conceptuelle.

C'est là la grande erreur de l'Afrique et du tiers monde qui consiste, et pour en faire une généralisation simplificatrice, à tenter de scruter uniquement l'horizon d'un passé brumeux, sans jumelles, que la vague d'un futur non nommé en tant que tel engloutit, conduisant aux démembrements, aux massacres ethniques, tels le Rwanda, le Congo, etc. A l'opposé, l'Europe, qui s'était entre-déchirée pendant la deuxième guerre mondiale, s'était construite, non pas en se tournant vers ce passé militaire ponctué de sang, de camps de concentration et de la misère d'un nationalisme dépassé (comme formes, et non, comme valeurs), mais en s'orientant vers une reformulation de valeurs comme acquis du futur.

Ainsi, le mauricien ne peut se définir que par son passé, d'un passé découlant d'un pli de l'histoire, mais celui, ou plutôt, total et plein, d'un projet. Notre identification repose dans " ce " futur-là qui détermine notre présent, donc, au final, d'une identification bien présente. Et c'est cette prise de conscience assumée, qui nous permettrait de récupérer du monde et de nos institutions reçues en héritage, de l'autre histoire qui s'est jouée ailleurs, non pas uniquement ses formes désuètes évacuées de ses profondeurs, des squelettes fantomatiques de bonne conscience, des institutions dénuées de leurs portées propres, mais leurs âmes, leurs principes, leurs vitalités et leurs valeurs.

Peut-être, est-ce ici chercher une phénoménologie de l'histoire, une réalisation et but de chacun, qui consisteraient à voir de l'intérieur de chaque temps messianique individuel (qui découle de traditions différentes dont nous sommes porteurs) qui compose le paysage mauricien, un déploiement de l'esprit hégélien ? Quoiqu'il en soit, nous voulons ici appeler de nos vœux un être mauricien non déchiré par les ruptures du passé, mais par un présent en avant sur son futur, celui qui permet la pleine réalisation d'une jonction temporelle, celui qui est l'assise même de notre identification.

S'il fallait chercher l'identité mauricienne, ce n'est peut-être pas, avant tout, le territoire (car l'esprit mauricien est aussi outre-mer, et peut-être même plus dynamique et réflexif ailleurs que sur l'île), ce ne serait pas une culture unique (car nous sommes multiculturels), ce n'est pas un quelconque brassage ou métissage culturel (dont la preuve reste à être démontrée), mais c'est avant tout une rencontre des temporalités au sein de l'histoire qui appellent un défi et une prise identificatoire, la rencontre temporelle devenant elle-même identité, se superposant et précédant la rencontre territoriale. Le mauricien serait celui aussi qui aura su s'arrêter dans l'histoire, et aller au-delà même de cette temporalité linéaire en le dédoublant d'un projet de civilisation. La course du tiers-monde est ainsi faite, et le peuple qui l'aurait su le premier emportera le trophée. Il y va de notre vie de demain, et c'est ce qui ferait que nous pourrons nous attendre à de bons hôpitaux et à de bonnes écoles, entre autres, si nous avons, par là, opté pour des valeurs authentiques (dont la méritocratie) et non des formes squelettiques de bonne conscience.
FIN
RIYAD DOOKHY, Barrister (Londres) et chercheur (IRCM, France)


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