dimanche 26 juillet 2015

La démocratisation du débat sur l’eau




Mardi 02 février 2011 Riyad Dookhy, «La démocratisation du débat sur l’eau», Responsabilité, Forum, Le Mauricien, mardi 02 février 2011   

RESPONSABILITÉ

La démocratisation du débat sur l'eau
RIYAD DOOKHY, Barrister (Londres) et chercheur (IRCM, France)

La représentation publique des faits de rupture de service en eau à Maurice, si elle fut bien aménagée et surveillée, prend soin, selon toute vraisemblance, à ne pas engager la responsabilité de certains, et peut-être même à désarmer toute interrogation qui leur serait imputable. Ce serait le fait de la nature, en l'occurrence la sécheresse, qui est cause de toute rupture en fourniture d'eau. Les hommes ne pouvant intervenir dans les dispositions divines, ceux-ci ne feraient qu'en subir. Il appartient au peuple, donc, de recourir, comme ce fut le cas, à la prière commune pour que le Ciel nous déverse de Sa grâce.
Toutefois, la réalité est tout autre. Ce transfert de responsabilités au Ciel et non à l'homme a bien été voulu par certains pour que les vrais responsables ne soient pas inquiétés. S'il a fallu croire au miracle, il ressort qu'il ne fallait pas trop croire à la nécessité des Mauriciens de s'organiser et de s'assurer des services publics. Au fait, c'est la prise de conscience d'une organisation sociétale nécessaire qui fut écartée.
Dans une démocratie, un service public endosse des responsabilités importantes. Il en décharge par la prise en compte d'une gestion appropriée. Tout gouvernement, tout gestionnaire des services nécessaires est soumis à l'obligation de démontrer l'effort consenti pour s'assurer d'une bonne gestion, surtout s'agissant des services primaires. Rappelons que les contribuables sont ceux qui paient pour l'alimentation en eau. Au-delà de cette contribution financière, et d'une rupture certaine du contrat par l'autorité de fourniture en eau qui appelle en conséquence le versement des dommages et intérêts, la question est néanmoins plus grave.
Cette politique d'un déni de responsabilité s'est matérialisée, entre autres, dans la représentation de la rupture de service en eau comme s'inscrivant dans le registre d'un fait de la nature. Cette représentation tend à criminaliser les victimes - qui sont les usagers - pour un mal qui n'est pas le leur. C'est ainsi que l'on a fait croire aux usagers qu'il leur incombe d'économiser de l'eau, sous peine de sanction pénale, mais qu'il ne leur incombe pas de s'interroger sur le service pour lequel ils contribuent financièrement. Ceci est renforcé par certains reportages consistant à interroger en surface les responsables, tout en mettant le " focus " sur les usagers. Ces derniers apparaîtraient alors comme les fautifs, et c'est à eux d'apprendre à " économiser " l'eau. Les vrais responsables se jouent ainsi en victimes. Dans les reportages, il est question de " bonnes " personnes qui " savent " s'organiser et qui savent " faire l'économie " de l'eau. Il n'est jamais question du traumatisme, de la rupture de vie, de la trahison d'un service public, de son impact sur le développement à Maurice, du coût sur la production, sur le travail, sur les petits entrepreneurs, sur l'hygiène et les maladies, sur la psychologisation du vivre mauricien, sur le " confort " de bien vivre sur une île considérée par un journal irlandais comme comportant des aspects très inquiétants.
Transparence
Qu'une période de faible pluviosité s'abat sur l'île est un phénomène courant et régulier, voire annuel ! Tout à fait prévisible, il est question de " gestion ", face à des intempéries qui sont pour le cas mauricien constitutives de son environnement. C'est quand l'on est incapable de gérer (ici peut-être à stocker de l'eau, à revoir ses pertes dans ses canalisations, etc.) que l'on chercherait à criminaliser les usagers. Cette prétendue " sécheresse " ne saurait être nullement un phénomène rare et imprévisible à Maurice. Ou alors notre sécheresse ne consisterait pas en un manque d'un liquide H2O mais plutôt en celui de bons gestionnaires et de bonne politique d'eau.
Gérer un service public signifie une maîtrise des phénomènes pour le bien-être du peuple, avant même que le problème se manifeste. En réalité, les vrais responsables doivent au peuple mauricien des explications sur deux points au moins : sur le plan des infrastructures et sur le plan budgétaire.
Sur le plan des infrastructures, une démocratisation du débat est de mise. Quelles sont les mesures qui furent prises " d'avance " pour prévenir une rupture en eau en période dure (ou " rainy period " - au-delà d'un jeu de mots, la sécheresse mauricienne serait bien ponctuée d'" averses fortes ") ? Quel fut l'horizon des solutions proposées, celles qui sont " réellement " concrètes et non celles consistant à n'être que de simples garanties émises dans le but d'esquiver toute responsabilité ? A la question des infrastructures s'ajoute la question budgétaire. Les services de l'eau doivent démontrer non pas dans des cadres institutionnels fermés et accessibles à quelques-uns seulement, mais à la nation tout entière, l'étendue du budget, des dépenses, des pertes, et surtout des mauvaises gestions, (y aurait-il corruption ?), c'est-à-dire une réelle transparence du dossier.
Aussi, il est question aujourd'hui d'une autre facette de ce dossier. Qu'en sera-t-il à l'avenir ? Au peuple mauricien d'exiger des responsables que de vraies garanties soient données, et de réels travaux entrepris, pour l'année prochaine et les années à venir, afin que la rupture en fourniture d'eau potable ne se répète pas. Quelles mesures les autorités prennent-elles aujourd'hui pour que cette situation ne se reproduise pas demain ? Telle est désormais une des questions primordiales, qui ne doit plus désormais être une affaire classée.
Dans les débats qui touchent à la société, le journalisme libre doit exiger et construire une transparence qui tend vers un contrôle public budgétaire et infrastructurel. En ce sens, nous appelons à une pratique journalistique plus inquisitoriale, et proactive, alors même que les journalistes à la Réunion interrogeaient le Premier ministre si effectivement il y aurait une répression à l'encontre des journalistes mauriciens.
Plus que jamais il faut que Maurice passe à l'ère d'une démocratie active. Le peuple mauricien n'est plus un peuple somnolant, qu'une rhétorique politique suffirait… Il faut que l'élite neutre et indépendante tout comme les journalistes braves aident à construire un peuple qui est aujourd'hui parvenu à un tournant historique de son destin. Maurice ne pourra aspirer à devenir un grand centre touristique, pour ne mentionner que cet exemple, si elle ne peut même pas assurer un simple service d'eau.


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